Les passages sont des moments au statut étrange ponctuant notre voyage. Ils ont pris une valeur différente avec le temps et nos sentiments envers ces moments sont assez ambivalents.
Chaque passage a eu une signification différente depuis le début de notre voyage. Le premier passage (par « passage » j’entends un temps de navigation en mer de plusieurs jours et sans arrêt) de 3 ou 4 jours avant de s’arrêter pour la première fois en Baja était comme un mini test, avec un bon nombre d’appréhensions : vais-je avoir le mal de mer ? A quel rythme vont s’enchainer nos tours de garde ? Va-t-il y avoir beau temps ou va-t-il falloir resté à la barre sous la pluie tout le temps ? Est-ce qu’on a bien fait de partir sans être vraiment prêt ? Bref, en une question , va-t-on y arriver ?! On ne sait toujours pas s’il aurait été mieux de partir plus tard et on ne le saura jamais mais après cette traversée on a trouvé un équilibre dans le rythme de vie à bord, on a vu que l’on « pouvait le faire », que le mal de mer s’estompait après quelques jours misérables et on a décidé d’investir dans un régulateur d’allure parce qu’être à la barre tout le temps c’est épuisant !
Le deuxième « vrai passage » était un peu plus stressant car on savait qu’il serait long avant d’arriver aux Marquises et qu’il s’agissait cette fois de traverser un océan. Nos questions étaient un peu différentes, plus ancrées dans l’éventualité d’une urgence ou d’un danger, avec une récurrence de ces mots : « que fait-on si », qui deviennent un passage obligé lorsqu’on s’éloigne des côtes. Que fait-on si on a plus d’eau, plus de nourriture (assez impossible cependant au vue des tonnes de provisions !), que fait-on si ceci ou cela casse, que fait-on si le bateau coule… On avait remis les mâts peu de temps avant le départ et on a avait changé tous les gréements (câbles qui relient les mâts au pont), il fallait donc ne pas trop pousser le bateau. Cette traversée nous a appris que le régulateur d’allure était un bon investissement, que Shalimar est un bateau solide et dans lequel nous pouvons avoir confiance et que trop de produits frais ça pourri à bord et ça sent mauvais !
Le troisième passage des Marquises jusqu’aux Tuamotus a aussi été notre premier « convoyage » avec Archateuthis. Nos bateaux vont à peu près au même rythme, on s’appelait à la radio pour prendre nos positions respectives, prendre des nouvelles des personnes à bord et faire un point météo. Je pense qu’il a aussi s’agit de notre premier passage plus routinier, plus à l’aise aussi ; on a poussé le bateau un plus, avancé à meilleure allure… Parallèlement il le fallait car du mauvais temps venait vers nous et c’était un peu la course contre la montre pour arriver à Makemo avant lui. On y ait parvenu, seulement on a eu juste le temps d’entrer (voir Makemo, ancré au milieu d’une piscine) !
Notre quatrième passage a été un peu secoué, il nous fallait arriver à Tahiti afin d’accueillir la famille de Ryan et faire nos papiers officiels. Du coup, on est parti sur une mer qui nous a fait le gros dos et on a décidé tant que possible de ne pas réitérer l’expérience tant qu’on le pourra. Partis tout gaillards, on est arrivé bien penauds !
Nous voilà maintenant dans notre cinquième traversée entre Bora-Bora et les îles Cooks. Celle-ci est particulière dans le sens où l’on est pas sûr de sa fin. On se dirige vers Aitutaki mais la passe en est peu profonde et l’on est pas sûr de pouvoir entrer. Si ce n’est pas le cas, on se dirigerait à 200nm de là à Palmerston mais si le vent tourne on ne pourra y rester en sécurité. Après cela le récif de Beveridge est sur le chemin mais là encore si le temps n’est pas clément il est impossible de entrer. Enfin vient Niue, dont les corps morts sont sur la partie ouest de l’île dont si le vent tourne dans cette direction, aucune protection et donc un départ obligatoire. On pourrait traverser tout cela sans rien en voir si l’on est dans l’impossibilité de s’arrêter! Aux dernières nouvelles cependant on devrait pouvoir entrer à Aitutaki, ouf !
Maintenant si vous nous demandez ce que l’on pense des passages on va vous dire : ENNUYEUX / BORING ! C’est le premier mot qui vient à l’esprit. Ryan a définitivement fait son deuil de ne pas aimer ces moments-là plus que ça. Et moi je ne savais pas quoi en penser dès le départ. Il me semble cependant que j’ai appris à les vivre avec moins d’appréhension cependant.
Avec le temps on a pu s’apercevoir que nos marques étaient prises, que l’on avait davantage confiance en notre connaissance du bateau, que l’on pouvait le pousser plus et sans risque (faut dire que l’on réduisait les voiles dès que l’on arrivait à plus de 5 noeuds lors des deux premiers passages quand la limite du bateau est de 7.5 !). On continue les gardes de nuit en sortant notre tête tous les ¼ d’heure pour bien regarder autour de nous, au moindre bateau aux alentours on est sur le pont (ce qui n’arrive pratiquement jamais). Encore une fois le régulateur d’allure c’est que du bonheur et cela joue très bien le rôle d’un troisième membres d’équipage!
Si je regarde la vie en noir, j’appréhende les passages car on ne peut pas faire grand chose (surtout les deux ou trois premiers jours), même dans de bonnes conditions, le bateau tangue toujours ce qui rend tous déplacements plus difficiles mais pas seulement cela, car être assis et lire peut aussi devenir un challenge pour votre estomac ! En parlant de celui-là je ne sais pas comment le réguler. Je n’ai jamais vraiment faim mais ça ne marche pas bien pour moi si je le laisse vide. Il faut le faire fonctionner régulièrement même si ce n’est pas avec beaucoup, du coup on grignote toute la journée et la nuit (ça m’aide à me réveiller quand vient mon tour de garde). J’ai l’impression de devenir énorme ! Cependant lors d’un plus long passage(de plus de 4 jours), il me semble que la tendance s’inverse et que l’estomac a besoin de moins en moins de nourriture. Les deux ou trois premiers jours restent assez misérables côté mal de mer mais on fini par s’accoutumer.
Ces moments ont un statut particulier, il ne s’agit parfois pas de regarder les choses en noir ou en blanc. Ils sont de petits sas de décompression où après avoir été en mode « voyage, visite, snorkeling, pots avec d’autres plaisanciers, découvertes, resto, magasins, ect…», on repasse en mode à deux, puis en individuel avec beaucoup de temps pour penser, prendre du recul sur ce que l’on a vu, appris, partagé, un moment d’intériorisation. Du temps pour se préparer à la nouvelle destination aussi.
Mes principales activités pendant ces traversées sont : ciné, littérature, repos, écriture, « cuisine » (le plus simple et rapide possible). Et les deux premiers jours avec mon cœur au bord des lèvres je me dis parfois : « Mais pourquoi on prend pas l’avion comme tout le monde ! » ! Pourtant passé cela je prends le rythme et en général, un jour de plus ou de moins après une semaine en mer, ce n ‘est plus vraiment un problème.
Voilà, cela vous donne un aperçu de ce qu’est un passage pour nous, c’est peut-être bien loin de l’image romantique que l’on s’en fait mais c’est aussi une partie indispensable de notre voyage, une transition à la fois physique et morale. Ce n’est pas notre partie préférée de l’aventure mais c’est une partie indissociable. Un moment avec Shalimar, nous deux et le roulis parfois berçant parfois écœurant et le vent on l’espère mais avaec modération!
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