Nous sommes maintenant dans le groupe Ha’apai et toujours au royaume de Tonga. Ces îles sont plus désertes et éloignées les unes des autres. Il en résulte de nombreuses conséquences comme le fait que le snorkeling est meilleur, les récifs plus riches, mais aussi que nous sommes beaucoup moins protégés des grains quand ils surviennent. C ‘est ainsi qu’on s’est fait une petite peur…
Nous étions ancrés près du port de Pangai (île de Lifuka ) avec une bonne tenue dans du sable, la météo annonçaient des vents légers et variables qui changeraient de sens et l’on a appris maintenant que cela veut dire qu’un système de perturbations peut traverser dans cette configuration. Autrement , c’est gros grains en perspective et même plus (on a vu notre compteur monter jusqu’à 35 nœuds !).
Alors que nous étions tranquillement dans la cabine au chaud et au sec on a entendu un « CCCCCCCRAAAAAAAAAAAAC » violent. Ryan sorti, je le suivais de peu. L’élastique qui sert à amortir la pression sur notre chaine d’ancre avait commencé à céder, le vent nous baladait allègrement, il pleuvait généreusement et j’étais morte de trouille à l’idée de voir notre chaine se rompre sous la pression maintenant exercée par la proue du bateau qui jouait au yoyo. Ryan m’a dit de démarrer le moteur et d’avancer tout doucement afin de relâcher la pression tout en gardant le nez dans le vent. A la barre j’étais loin d’être fière ! J’ai fait comme j’ai pu, je ne pouvais pas voir exactement ce que Ryan faisait, où ça en était, le vent sifflait dans nos oreilles, la pluie nous fouettait le visage. Mes repères à terre (afin de d’avancer le plus droit et le plus lentement possible étaient difficiles à trouver). Jared nous a appelé d’Archateuthis mais le mauvais temps ne lui aurait pas permis de venir nous rejoindre pour nous apporter son aide de toute façon. On a fini par hisser la misaine (voile du mât arrière) qui rajoutait au désordre ambiant en claquant furieusement au dessus de ma tête. Lorsque Ryan revenait vers l’arrière du bateau pour aller chercher un outil ou autre il m’encourageait en me disant que je m’en sortais bien et que c’était presque fini, moi j’avais envie de fondre en larme ! Je crois que le plus dur était de ne pas savoir exactement ce qui se passait où on en était car il fallait agir vite et qu’on n’avait pas le temps de tenir un conciliabule.
Finalement Ryan est repassé devant moi en me disant qu’on y était arrivé qu’il restait quelques installations à faire mais que le pire était passé, il tenait sa main gauche d’une manière étrange et je l’ai vu aller dans la cuisine prendre une ficelle, serrer son doigt avec afin de retirer son alliance, puis il est remonté sur le pont et a sécurisé un nouveau système pour ménager notre chaine d’ancre, on a abaissé la misaine qui avec une brusque rafale nous faisait pencher un peu trop près de l’eau et enfin il m’a dit de couper le moteur.
On est redescendu en bas, j’avais le cœur battant et au bord des lèvres en pensant à la blessure de Ryan dont on ne connaissait pas encore l’étendue. Il m’a expliqué qu’alors qu’il tenait la chaine dans les mains, notre amortisseur à finalement totalement lâché et la chaine a donc violemment été tirée vers le bas. Quand il a regardé sa main, il a constaté que son annulaire était tordu, il a tiré dessus et l’a remis en place sans vraiment y penser, tant que c’était encore chaud sans vraiment ressentir de peine, puis à pensé à retirer son anneau avant de ne plus pouvoir. Quand j’ai vu son doigt il était vraiment bien gonflé mais il semblait droit. On l’a bandé avec une atèle pour l’immobiliser. Au vu de ce qui est arrivé Ryan a vraiment eu de la chance, ça aurait pu être bien pire. La chaine a aussi heurté sa main qui a elle aussi gonflée un peu les jours suivants, mais il semble que le bilan s’arrête là. J’ai fait une recherche sur internet afin de vérifier que nous avions fait ce qui était possible et mis à part mettre le doigt sur de la glace (nous avons par la suite utilisé des cannettes qui étaient au frigo, Ryan le fait une à deux fois par jour maintenant), les réflexes avaient été les bons. Deux jours plus tard quand le temps nous l’a permis et que c’était lundi (le dimanche est sacré, peu de personnes travaillent ce jour-là à Tonga), nous sommes allés à l’hôpital de Pangai. Un médecin a demandé à Ryan de retirer sa bande a effleuré son doigt et lui a dit que ça semblait bon, il n’était pas possible de faire d’examen plus approfondi car il n’ont pas de radiographie. Nous irons peut être en faire une à Tongatapu (dernier groupe d’îles au Sud) si l’on veut se rassurer ou cela attendra la Nouvelle Zélande.
Une fois la tempête dissipée, nous sommes aller voir l’étendue des dégâts dehors. Pendant que Ryan essayait de remettre les choses en ordre, le bateau à viré à 90 degrés et la chaine a poussé sur le câble qui relie la coque (juste au dessus de la ligne d’eau) au beaupré (pièce en bois à l’avant du navire), au milieu de ce câble, il y a une tige en acier qui a été pliée presque à 90 degrés. Heureusement avec l’aide de Brian et Sabina (de « fins and flukes ») à terre nous avons trouvé une nouvelle barre en acier pour la remplacer, Ryan et Jared y ont passé du temps afin de désolidariser les extrémités de l’ancienne barre pour les transférer sur la nouvelle. Ensuite il a fallu trouver une nouvelle manière d’attacher le câble sur le beaupré car la pièce en bronze montrait plusieurs craquelures. Autant vous dire que Mac Gyver s’est une fois de plus mis en action! Il a utilisé des liens qui viennent de notre matériel d’escalade et une corde hightech « amsteel » que nous avons attachés à l’extrémité du beaupré et protégé d’une usure par frottement avec une pièce de cuir. L’ensemble semble bien tenir le choc, on va tout de même éviter de naviguer le nez au vent car cela mettrait trop de pression sur cette partie ou bien nous n’allons pas utiliser notre foc (qui se situe au même niveau) mais une voile plus à l’intérieur du navire (trinquette) dans ces circonstances.
Quelques jours plus tard nous avons aussi découvert une autre conséquence fâcheuse, notre guindeau a pris toute la pression de la chaine de mouillage sous le choc est il est maintenant hors d’usage. Cette mauvaise nouvelle apparente car il faut maintenant tout faire à la main et le poids de notre chaine plus notre ancre ne rendent pas les choses très aisées, aurait pu tomber plus mal, car d’une nous sommes presque au terme de notre voyage et nous pouvons choisir des lieux de mouillage peu profonds et assez protégés qui nous permettent de ne pas avoir à changer tout le temps (bien sûr avec une main en moins c’est pas le pied !:) et de deux nous n’étions pas satisfait de ce guindeau et l’on se demandait si l’on ne devrait pas le changer pour quelque chose de plus pratique, maintenant on a plus à se demander, il faut le faire !
Et on a décidé d’une chose, on veut un système que l’on puisse tous deux manœuvrer ! Même s’il nous reste peu d’arrêt avant le départ, Ryan doit toujours se débrouiller avec une main maintenant pour lever ou abaisser l’ancre et même si je voulais le soulager, cela requiert une force que je n’ai pas. Son doigt a besoin d’un repos qu’on ne peut pas vraiment lui donner et c’est énervant. Heureusement encore une fois que Jared et Christine sont là , car Jared peut nous donner un coup de main, mais ça ne sera pas toujours le cas alors autant parer à toutes éventualités (autant que cela est possible) pour la prochaine saison de voile.
Nous espérions nous mettre en route pour la Nouvelle Zélande vers le 15 octobre mais nous avons décidé de repousser notre départ afin que Ryan se repose un peu. Nous nous mettrons donc en route vers la fin du mois si tout va bien. Archateuthis se mettra en route au même moment que nous et nous ferons route ensemble ce qui rassurera beaucoup de monde !
Voilà on pourrait se dire, ils en ont eu assez, laissons les se reposer, mais non ! Quelques jours plus tard on a eu une autre surprise liée au mouillage et aux vents variables ! Cette fois on savait que les grains allaient venir puisque la configuration était la même qu’auparavant, on avait un peu le trac mais au moins ça nous permettrait de tester notre réparation. On avait changé de lieu de mouillage pour quelque chose de plus abrité où du moins on l’espérait.
Au milieu de la nuit Ryan se lève car il a entendu un bruit de raclement. Il reste dehors un moment, du coup je me lève aussi, Jared me contacte à la radio pour me demander si tout va bien car il a vu la lumière sur notre pont. Lorsque j’arrive près de Ryan il me montre nos flotteurs (on les attache à la chaine de manière à ce qu’elle flotte afin qu’elle ne soit pas attrapée car le corail) se sont tous emmêlés !, Du coup la longueur de chaine est trop courte et une fois de plus elle est trop tendue. Jared nous rejoint et nous donne un coup de main et tout se déroule bien, mais encore une fois, cela aurait pu être bien moins sympathique !
Cela m’a amené à une autre réflexion sur le mouillage, en cas de mauvais temps c’est vraiment angoissant spécialement lorsque que l’on est entouré de récifs dans un endroit où la navigation ne peut se faire que de jour. On se sent coincés dans un mouchoir de poche avec peu de marge de manœuvre. En mer, en cas de gros temps, c’est impressionnant, mais s’il y a trop de vent, on peut relâcher un peu les voiles ou les réduire, si ce n’est pas encore assez on peut en abaisser, et si ce n’est toujours pas suffisant, on peut « prendre la cape » (manœuvre afin d’immobiliser le bateau au maximum avec la misaine dans un sens et le gouvernail de l’autre). Mais une fois ancré, c’est une autre histoire, on se sent vulnérable du fait de ne pouvoir agir. C’est la première fois que je ressens cela, le métier doit finir par rentrer. Du coup quand on remplacera le guindeau, on en veut un qui puisse être aussi manoeuvré par moi.
Ryan et moi avons définitivement placé le mouillage comme la partie la moins plaisante de la vie de plaisanciers ! Espérons que nous trouverons un guindeau qui rendra cette partie un peu plus aisée pour le futur.
Update du 2 novembre
Un nouveau front approchait, nous nous sommes donc dirigés vers Nuku Alofa, Tongatapu, et bien entendu, on a eu le vent dans le nez pendant tout le trajet et dû se servir du foc afin de pouvoir avancer! Les réparations semblent bien tenir, il ne nous reste qu'a les vérifier qu'il n'y a pas frottements et donc usure.
Nous voilà bien à l'abri dans le port pour laisser passer le mauvais temps! Malheureusement, il semble que l'on va devoir rester dans les environs car aux forts vents que nous avons subis, succèdent des vents faibles accompagnés de gros grains pour au moins une semaine et un vent dans le nez pour aller en Nouvelle Zélande, on va donc attendre patiemment (surtout Ryan, car moi j'ai du mal à être patiente dans ce cas)... La suite au prochain épisode.